Dans la tête de trop de nos leaders, c’est encore la première guerre autour de la place financière de Luxembourg qui fait rage. On dirait qu’ils ne se rendent pas compte qu’elle est perdue depuis le 2 avril, 2009, date du G20 à Londres. Le Luxembourg a subi les assauts de l’Allemagne, de la France et de l’Amérique. « Roude Leif , huel se! » clament tous les comptoirs des bistros, en parfaite résonnance avec leurs chefs politiques. Cela fleure bon la poudre noire, depuis le Buffet de la Gare jusque chez Koeppe Jemp. Le politiquement correct « dei Daitsch » a fait place de nouveau au plus savoureux « d’Preisen », affublé d’un joli adjectif.
La guerre est l’échec de la diplomatie, ou plutôt sa continuation par d’autres moyens. La guerre (ici de mots) généralement éclate par l’attaque délibérée d’un agresseur, qui veut atteindre certains objectifs, contre un défenseur qui veut l’en empêcher. Aveuglés par des gesticulations dignes d’un kabuki, et grisés par les doux frissons procurés par les salves d’insultes proférées, nos vaillants combattants semblent ignorer la possibilité de l’existence d’un autre objectif final, cause d’une deuxième guerre de la place.
Une guerre peut en cacher une autre.
L’objectif de nos (anciens) amis était de mettre fin au paradis fiscal luxembourgeois. Ils haïssent l’idée de voir s’évaporer des milliards d’euros et de dollars en impôts dans les paradis fiscaux. Le problème est qu’on finira par s’apercevoir du côté luxembourgeois que ce n’était qu’un objectif intermédiaire qui en masque un autre.
L’objectif final sera de drainer la place financière de sa substance pour se l’accaparer: fonds d’investissement, assurances, « private banking ». Certains entrevoient cette ultime issue, et il est vrai qu’elle est probablement fondée dans la jalousie que génère le succès de la place.
L’objectif du Luxembourg devrait donc être logiquement de les empêcher de démanteler ce centre financier si vital pour le pays et la grande région et de les empêcher de récupérer ces activités pour leur propre compte à Francfort, Paris, New York et Londres. Les Etats sont égocentriques. Il ne faut jamais leur attribuer des intentions mais il faut évaluer leurs possibilités. Il serait donc urgent de concentrer les efforts de défense luxembourgeois sur la sauvegarde de la substance de la place. Malheureusement ce n’est pas le cas : le Luxembourg tient une ligne Maginot dérisoire autour du secret bancaire et du paradis fiscal qu’il n’admet d’ailleurs pas qu’il existe. Le Luxembourg, émotionnel, attisé par les courants d’air pré-électoraux, réagit comme le taureau devant lequel le toréador agite une cape rouge, sans voir la puntilla dans l’autre main. La défense du secret bancaire est aussi futile que l’attaque d’un chiffon rouge par le taureau: le secret bancaire n’existe plus. C’est en effet une drôle de guerre, en fait ce sont deux guerres parallèles l’une perdue, l’autre se pointant à l’horizon. On dirait que nos guerriers ne sont au courant ni au sujet de la fin de la première ni au sujet de la menace d’une seconde.
Une auto-défaite prédictible.
La défaite dans la première guerre suit un cheminement en 4 étapes dont trois au moins sont attribuables à des actions volontaires ou du moins à des acquiescements sinon des accords luxembourgeois :
1. Dans les années 90, le Luxembourg, en bon élève européen, a fait une ouverture audacieuse, célébrée par certains d’absolument géniale. C’était l’offre de renoncer au secret bancaire sous condition que toutes les juridictions, et notamment la Suisse en feraient de même. Bien sûr tout le monde savait que cela ne se passerait jamais. Tel était l’entendement du moins. Incroyablement, cet abandon d’une position forte d’un pouvoir de veto, a été faite sans obtenir de contrepartie de la part des partenaires européens. L’on pourrait s’imaginer que c’était le moment idéal de revendiquer le siège de la Banque Centrale Européenne, par exemple, ce qui aurait consolidé le secteur financier à jamais.
2. En 2001 intervient la deuxième brèche. Les Etats-Unis ont pratiqué une politique du bras long en introduisant le « Qualified Intermediary », obligeant les banques luxembourgeoises à renseigner les autorités américaines sur les comptes de résidents américains qu’elles maintenaient. Côté luxembourgeois, c’était en fait une violation tolérée du secret bancaire. C’était l’œuvre géniale et diabolique de Larry Summers, chef du Trésor de Bill Clinton, qui maintenant est le conseiller économique de Barack Obama. Si cela n’est pas un avertissement…
3. La Directive européenne sur l’épargne de 2005 annulait un but principal du secret bancaire, celui d’allécher les fugitifs de la fiscalité. Honnêtement, parmi nous, c’est vrai que c’était une invitation à l’évasion fiscale. Le nier ne fait que provoquer les cynismes de nos anciens amis. Jaimini Bhagwati, Ambassadeur de l’Inde auprès de l’UE, la Belgique et le Luxembourg a écrit dans l’Indian Business Standard, librement traduit:
« La phrase « hypocrisie sur stéroïdes » a été utilisée récemment dans les nouvelles pour décrire les remèdes à la crise du secteur financier, qui de façon extravagante favorisent les actionnaires et créanciers aux dépens du contribuable. Pour résumer, la même expression pourrait être utilisée pour décrire les fondements trompeurs sur lesquels le maintien des lois sur le secret bancaire est assis, alors que l’un des objectifs est d’attirer des fonds illicites ». (1)
4. Finalement c’est l’effort récent de l’OCDE et du G 20 de Londres en avril 2009, qui certes nous a valu des moments de trahison et de faux jeux, mais qui essentiellement a donné le coup fatal au secret bancaire. Il est mort et la défense qui s’en fait est autour d’un cadavre.
Le lecteur averti complétera la liste en y insérant les causes telles qu’erreurs de calcul, ambitions personnelles, mésalliances, rêveries, zélotisme européen et confiance aveugle dans les intentions d’autrui.
La paix a-t-elle éclaté ?
Avec la mort du secret bancaire vient la mort du paradis fiscal. Inutile de nier qu’il existait, car en tous cas il n’existe plus maintenant. La guerre du Luxembourg est terminée avec la reddition de ce pilier de la place financière. Il est dès lors très primaire de réagir au quart de tour aux provocations teutoniques et autres chiffons rouges. C’est une réaction bien humaine pour les vainqueurs, que de se moquer des vaincus et de les tourner en dérision.
Préparer la nouvelle guerre sans préparer la dernière.
La revanche est un plat qui se mange froid. Elle n’est en tout cas pas cette première guerre asymétrique que certains semblent vouloir mener encore. Sa séquence était totalement à l’envers : reddition du secret bancaire d’abord, puis, battu, engager des batailles dont la défaite est déjà acquise pour finalement se raviser qu’on manquait de moyens pour conduire la bataille dont on savait qu’elle était déjà perdue. La débâcle.
On dirait que ces moyens pour se défendre correctement finalement arrivent, mais trop tard sous la forme d’une initiative qui est «The Luxembourg Institute for Global Financial Integrity.” Cette arrivée bien tardive vient peut-être à point cependant, comme il y aura une suite: la deuxième guerre avec sa bataille pour la substance.
«The Luxembourg Institute for Global Financial Integrity » pourrait constituer un élément de défense. Malheureusement cette initiative prépare la dernière guerre, car elle est brodée d’indications qu’elle ne vise pas le renouveau mais la continuité. La première guerre du Luxembourg était menée sur fond de la loi du plus fort. La deuxième le sera sur fond d’honnêteté et d’intégrité. L’idée du « Luxembourg Institute for Global Financial Integrity” dans son embryon est sans doute très bonne. Elle suggère que le Luxembourg est prêt à prendre un virage. Hélas, à seconde vue, cette nouvelle arme est hautement suspecte et caricaturale, “hypocrisy on steroids” dirait l’Ambassadeur Bhagwati, car cette force spéciale prend les mêmes et on recommence. Les fondateurs ne sont que des « insiders » et lobbyistes. Ce qui plus est, par ses critères d’admission, notamment ses cotisations, elle élimine tous les indésirables et les voix dissonantes telles que les ONG, pourtant indispensables pour sonder toutes les sensibilités.
L’on pourrait entrevoir un tel institut comme produisant une ligne de démarcation claire, neutre, autoritaire dans les domaines de gouvernance que le Luxembourg, ancien bon élève de l’Europe, s’empresserait à adopter, briguant le titre de meilleur élève parmi les anciens paradis fiscaux. Car la seconde bataille pour la place financière à venir, se livrera autour de la propreté : plus blanc que blanc.
La victoire s’articulera nécessairement autour de la bonne gouvernance de la place, sa compétence et son sérieux, un impeccable professionnalisme, une réglementation et une surveillance exemplaires, les moyens juridiques et d’investigation suffisants et en rapport avec l’envergure de la place, une volonté déterminée de combattre le crime financier et de rendre justice dans des délais raisonnables, des sanctions crédibles et publiées, bref la transparence qui fait défaut actuellement.
« Ne laissez jamais filer une bonne crise vers le dépotoir » a dit Rahm Emanuel, le « Chief of Staff » du Président Obama. L’interprétation appliquée ici devrait être de tirer les leçons de la première guerre qui vient de se terminer pour mieux préparer la seconde qui nous sera imposée. Je crains cependant que pour beaucoup la crise n’est qu’une opportunité électorale. A ne pas manquer seront les points faciles à marquer en vue des élections en se payant le scalp de ce monument d’orgueil allemand, la tète du Delaware (2), de la perfide Albion et de tout ce qui piaffe du côté de Paris. Observateur lointain depuis 20 ans, tantôt concerné, ahuri et amusé, j’épancherai mes vues et états d’âme sur mon blog, egidethein.blogspot.com, expériences et mémoires personnelles à l’appui.
Egide Thein
2009-05-17
(1) http://leconomistamascherato.blogspot.com/2009/05/banking-secrecy-laws-attract-illicit.html
(2) Les attaques sur le Delaware sont dérisoires, dans la mesure qu’elles attisent le feu inutilement et qu’elles sont en partie infondées : Le Delaware permet toute investigation, l’OCDE le défend comme partie d’une entité politique plus large, et surtout, le Sénateur Levin, co-sponsor avec Barack Obama de « S 506 Stop Tax Haven Abuse Act » est aussi sponsor de « S 569 Incorporation Transparency and Law Enforcement Assistance Act” qui adresse les faiblesses inhérentes aux juridictions comme le Delaware.
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